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Lettre Ouverte

Soigne tes démons intérieurs

Il est assis à son chevet et lui passe ses mains noueuses sur les cheveux. Il sent monter une émotion qu’il ne cherche pas à contenir. Il contemple avec une certaine perplexité les dégradés de couleur qui zèbrent sa peau de chabine claire : un peu de bleu, du violet foncé, du rouge et même du noir. De même il examine les petites irrégularités du derme : quelques renflements, par ici des stries, par là de minuscules montagnes russes.

Il soupire et continue de la caresser tendrement.

Elle est sa dulcinée, la mère de ses trois enfants. Elle est tout ce qu’il a. Il se demande, juste un quart de seconde, s’il a raison de penser qu’il l’a, ou mieux encore, qu’elle est à lui. Il ne peut en douter : elle est à lui. C’est bien lui qui la possède, qui la chevauche la nuit. Ce sont bien ses bras musclés qui enserrent son buste étroit, le plaquant contre son torse viril et poilu.

Il sourit de satisfaction.

Il parcourt du regard la superficie de son corps, allongé et un peu crispé. Elle dort tranquillement pourtant, comme une enfant sans soucis. Mais ses poings sont fermés et ses orteils recroquevillés. On dirait qu’un rêve désagréable la poursuit et qu’elle n’arrive pas à le chasser.

Il laisse ses doigts posés sur le tissu en lycra/spandex -couleur blanc cassé- qui couvre son bras droit. Comme il regrette de ne pouvoir s’enivrer du contact si doux de sa peau ! Comme il aimerait humer le fin duvet de son avant-bras !

Il chasse une idée noire et esquisse un sourire.

Décidément il n’a pas de chance ! Sa jambe gauche, si galbée, si terriblement sexy, gît, elle aussi, dans une forme de tissu plâtré, rigide et inaccessible. Il se remémore le trajet coutumier de ses lèvres, de la cheville au mollet, cette odeur tellement troublante de vanille et de karité qui mène jusqu’à l’oasis tant désirée.

Il aime cette femme. Oui, il la possède plus que tout au monde !

Il se redresse, se met debout et se dirige vers les toilettes de la petite chambre d’hôpital. Il franchit la porte et ses yeux restent rivés au miroir au-dessus du lavabo, d’un blanc étincelant. Il ne reconnaît pas son image. Il a beau se frotter les yeux, il voit un être hideux. Un visage maléfique, une face de tortionnaire.

Dans le miroir se reflète soudain le corps de la femme qui repose sur le petit lit. Il a quitté la pièce pour venir soulager sa vessie, juste à côté. Pourtant, le lit ne devrait pas se refléter dans le miroir. Aucune loi physique ne le permet. Il se frotte à nouveau les yeux et contemple son reflet encore plus monstrueux.

Sur la vitre, dansent les dégradés de couleur : un peu de bleu, du violet foncé, du rouge et même du noir. Ils se détachent de la peau étendue et s’envolent pour former une horrible fresque, qui se nourrit aussi des renflements, stries et montagnes russes qui creusent ou boursouflent cette même peau.

La fresque dessine un masque qui vient se plaquer sur le visage hideux qui se reflète dans le miroir. Un masque de chairs pendantes, d’yeux au beurre noir, de morceaux de peau violacés,
de lycra cousu de pores asphyxiés et de plâtre en décomposition. Le double du corps abîmé de sa dulcinée.

Il ne sourit plus. Sa vraie image l’a attrapé.

Il n’est plus celui qui caresse nonchalamment une peau lisse. Il n’est plus celui qui hume d’amour un mollet languissant. Il n’est plus cette belle histoire inventée.

Il se regarde dans la glace. Il porte son masque.

Non pas celui, innocent et bienveillant qu’il avait, un instant auparavant, dans la chambre, près du lit de sa dulcinée.

Non, il porte le masque de qui il est vraiment : un faiseur d’œil au beurre noir, un fabriquant de bleus, un zébreur de peaux rouges, striées de violacés, un décideur d’écharpes, un édile du plâtre. Un abîmeur de corps. Un briseur de destins de femmes.

Soigne tes démons intérieurs lui disait sa mère. Soigne-les avant qu’ils ne te lacèrent, toi et celles qui les verront danser… trop tard.

Mérine CÉCO

Violences faites aux Jeunes Filles et aux Femmes dans les Outre-Mer